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48h au Sel en (presque) live – Groupe EDLC

48h au Sel en (presque) live

 

48h en presque live : Part 1

Samedi matin : il fait un froid à stalactiter les larmes sur les joues des émotifs. La nuit a été agitée en un seul mot, bien qu’en deux, ça marche aussi. Passer une nuit à gîter comme un bateau ivre. Mmm. Ivre, je ne le suis pas, malgré les sous-entendus à peine voilés de mes filles ce matin en m’entendant chantonner « Rudolph the red nosed reindeer » devant le miroir en me brossant les dents. Ou alors, peut-être, ivre de joie et d’excitation à la perspective de ce week-end de remue-méninges passé avec des gens qui aiment les mots, les théâtre, la musique et les gens. Et les mots. Mais ça, je l’ai déjà dit. Donc, disais-je, ce matin, on se pèle sévère dans la banlieue ouest, même si l’ambiance est appelée à se réchauffer, et pas que sur les Champs-Elysées. Elysées, Elysées… Elisez le théâtre ce week-end, les amis, votez culture et faites une pause dans la vague jaune pour venir bleuir de froid et de joie au Sel en compagnie de la compagnie des Echappés, des Enfants de la comédie, des artistes qui vont donner le meilleur d’eux-mêmes et des bénévoles qui vont voler de poste en poste pour que tout se passe au mieux dans le meilleur des mondes, au moins l’espace d’un week-end. Après une nuit fébrile comme avant tous les événements marquants, je me suis levée la première au son du chant du coq, ou plutôt au son des aboiements de ma chienne qui a des terreurs nocturnes. Je suis descendue pieds nus et suis aussitôt remontée enfiler mes moonboots pour ne pas perdre un orteil. J’ai failli marcher sur le chat qui venait réclamer ses croquettes en se frottant à mes jambes, je suis tombée sur Chann qui sortait au radar de sa chambre, j’ai grattouillé le ventre de George qui, qui n’est pas mon mari mais ma chienne. Oui, c’est George sans S, comme George Sand, ce sont les filles qui l’ont baptisée comme ça pour crier haut et fort leur engagement féministe. Enorme succès dans les bois sévriens auprès des autres propriétaires de gente canine. Après, on s’étonne qu’elle ait des terreurs nocturnes. Bref, après avoir gratté le ventre de ma chienne et embrassé Igor, qui n’est pas mon chien mais mon mari, j’ai mis de l’eau à chauffer pour mon thé du matin et suis remontée enfiler un passe-montagne. J’ai croisé en chemin Luna en culotte et je me suis dit que décidément, on n’avait pas le même baromètre intérieur. Ou thermomètre. Enfin, la même notion du chaud et du froid, quoi. J’ai pris une douche et commencé à révolutionner la maison pour préparer de quoi tenir 48h en territoire hostile. Des trucs de survie, quoi. Un plaid, une doudoune, un coussin, un matelas de Pilates. On ne vantera jamais assez les bienfaits du Pilates sur les muscles posturaux en particulier et la santé en général. Bon là, en l’occurrence, c’est plutôt pour me coucher sous une table quand je ne serai plus étanche. Une brosse à dent, du dentifrice, du doliprane et de la crème pour les mains parce qu’avec ce froid polaire, si on peut éviter les engelures, hein…

J’ai retrouvé la famille autour de la table du petit dej et nous avons évoqué le repas de Noël. Enfin, quand je dis « évoqué »… Igor nous a lancé un ultimatum : personne ne quitte cette pièce tant qu’on n’a pas décidé ce qu’on faisait à manger le 24. Oui, mais là, on n’a pas trop le temps, on a réunion bénévoles au Sel à 9h30. M’en fous, on ne bouge pas d’ici tant qu’on n’a pas tranché. Chann est partisane de la caille mais je vois trop un gros poussin et je m’y oppose farouchement. Luna, qui a pris Igor au pied de la lettre un jour où il lançait une idée en l’air en espérant qu’elle retombe au bon endroit, est pour le burger de Noël. Personne ne sait à quoi ça peut bien ressembler mais le concept la séduit. Mais comme précisément personne ne sait à quoi ça peut bien ressembler, on laisse tomber l’idée. Igor parle dinde ou chapon et moi, je chantonne « L’as-tu vu, le petit bonhomme au chapeau pointu ? » en m’efforçant de convaincre tout le monde que non, je ne suis pas ivre, je suis juste contente et  si je demande à Chann de me regarder dans les pommettes au lieu des pupilles, c’est juste parce que j’ai mal dormi. Bref, on rigole bien et le temps passe très vite et c’est déjà l’heure de boucler les malles et de partir pour le Sel. Après avoir cassé au piolet la glace sur le pare-brise, s’entend. On prend une photo dans la voiture, tant qu’on est encore présentables. On en prendra une autre dimanche soir et on comparera.

Arrivés devant le Sel, nous croisons Stéphanie que nous soulageons d’une salade et d’un sac rempli de bouteilles. Elle s’occupe du catering du festival parce que les nourritures spirituelles, c’est bien joli, mais ça ne nourrit pas son homme. Ni sa femme, d’ailleurs. Nous arrivons dans le hall du Sel où trône pour l’occasion un superbe kiosque qui va abriter une radio en continue animée par Cécile et Alex avec brio. Ils vont tous les trois recevoir des comédiens et des chanteurs, dont Luna qui hier soir était encore en train de se demander ce qu’elle allait chanter mais on n’est pas inquiets du tout. Non, non, Cécile, lâche ce nœud coulant, tout va bien se passer, je t’assure, elle gère. Chanteurs, donc, lecteurs et autres artistes qui témoigneront pendant 48h du plaisir qu’ils ont à faire partie de cet événement.

Une fois sur place, la famille se disperse. Les filles disparaissent dans la foule de bénévoles, Igor va saluer ses camarades comédiens et non comédiens avec qui il va, pendant 48h, créer de toutes pièces un spectacle qu’il jouera à la fin du festival, dimanche, à 19h30. L’expérience a été tentée l’année dernière et rencontra un franc succès. Jules commence son speech d’accueil, secondé d’Alex qui lui parle dans son oreillette. Mais sans oreillette. Il nous donne les dernières consignes et les ultimes conseils pour accueillir le public, s’occuper du bar, recueillir d’éventuelles doléances avec un indéfectible sourire, tamponner les entrants, dire au-revoir aux sortants, gérer les stocks de PQ, ce qui intéresse Chann au premier degré puisqu’elle fait dame pipi en plus de photographe, runner, lectrice radio, j’en passe et de bien pires. Il finit son discours inaugural en donnant de l’énergie à tout le monde, on applaudit à tout rompre, parce qu’on est enthousiastes ET parce que ça permet de refaire circuler le sang dans nos doigts glacés, et on part rejoindre nos postes.

En ce qui me concerne, je me rends à l’atelier d’écriture où je vais passer la majeure partie du festival, à part quand je tiendrai le bar cet aprèm ou que je tamponnerai les gens demain. Cet atelier a été monté de toutes pièces et est un lieu cosy et convivial qui réussit l’exploit de maintenir une température légèrement inférieure à celle qui règne à l’extérieur. Nous sommes tous équipés de couvertures et de bonnets mais bien décidés à remplir notre mission d’auteurs quitte à risquer une pneumonie. L’ambiance est joyeuse mais studieuse, Cesaria Evora nous berce de sa douce voix et Laurent veille sur nous telle une poule sur ses poussins.

Je m’interromps pour aller voir « Tom et la Licorne », un spectacle musical entre ombres et lumière empreint de douceur et de poésie », mais ça, c’est ce que j’écrirai dans ma critique quand j’aurai fini ma lecture. Pour l’instant, je laisse courir mes doigts sur le clavier à côté d’Edouard, Bart, Joseph, Lucile et Julie sous l’objectif de Chann et en compagnie de Laure et de Juliette qui sont venues, tel l’ami Pierrot, nous prêter leur plume et se prêter à l’exercice du Time up. Vous vous demandez tous ce que c’est ? Eh bien je vous invite à nous rejoindre à l’atelier au niveau moins 1 et je vous donne rendez-vous plus tard pour un prochain passage radio. La bise à tous, bon festival et surtout, ne lâchez rien !

48h en (presque) live : part 2

Le premier passage radio effectué, je regagne notre douillet atelier d’écriture. En chemin, je croise des gens souriants ; deux artistes dont l’estomac crie famine et qui cherchent où se restaurer ; Michael qui me propose généreusement de goûter à son aileron, non, ce n’est pas une métaphore, il mange du poulet ; Chann qui me fait un bisou ; Philippe qui me propose d’adopter un petit garçon dont les parents se sont évanouis dans la nature et qui me vend le truc en m’assurant que ça me changera de mes filles, y’a pas à dire, il sait trouver les mots, ce Philippe.

Dans l’atelier, de bonnes âmes ont apporté des radiateurs supplémentaires pour réchauffer les auteurs et autrices qui s’activent frénétiquement devant leur écran sur fond de cliquetis et d’une musique que je ne reconnais pas mais qui joue à merveille son rôle d’inspiratrice. Autour de la table, de nouvelles têtes : Serge et Tiffaine s’absorbent dans leur prose. Peut-être aurai-je le plaisir de les lire lors d’un prochain passage radio. Je commence à écrire mais je suis gênée par les gargouillis de mon estomac qui me rappellent que c’est pas tout ça, mais il est 14h05 et il serait peut-être temps d’alimenter la chaudière. Et cette fois, oui, c’est une métaphore. Je vais faire un saut au bout de la rotonde où m’attend le ravitaillement. C’est Céline et son staff qui gèrent de main de maître les lieux et leur approvisionnement. Sur le plan de travail central sont disposés moult quiches, tartes salées, tartes sucrées, barres chocolatées qui me font de l’oeil mais que j’ignore superbement au profit d’une ronde clémentine parce que j’ai une volonté d’acier, plateau de fromages sur lequel je fais une razzia parce qu’il ne faut pas abuser non plus et grosse salade verte luisante de sauce sûrement pas allégée mais qui s’en soucie ? Hein ? Je vous le demande ? En me servant, je bavarde avec chef Céline qui m’informe que la console son d’un spectacle a inopinément décidé de se mettre en grève au milieu de la représentation, ce qui, avouons-le, n’est pas la meilleure idée de la journée, surtout pour les malheureux comédiens qui ont dû être surpris de se voir brusquement couper la chique. A côté de la cuisine, l’espace détente, égayé par des poufs et des affiches de films choisies avec discernement et disposée avec un goût sûr (ça s’entend, là, que c’est Tim et moi qui avons joué du gaffeur pour décorer l’espace cette semaine ?), l’espace détente, donc, est occupé par des artistes qui déjeunent en papotant à voix basse parce qu’un spectacle est en cours à côté et que c’est justement celui dont le son a sauté et que ça va bien, maintenant, les conneries.

Bref, je me glisse entre les gens avec mes deux assiettes garnies, une pour moi, une pour Edouard, et je retourne au chaud. (Ca s’appelle la méthode Coué). Là, Laurent m’annonce qu’il a pioché comme contrainte au Time up : « écrire dans une langue inventée mais compréhensible genre esperanto » Et comme personnage… Jésus. Je suis responsable de la première et je dois dire que la seconde lui va à merveille, avec sa barbe drue et son regard habité. J’ai hâte d’entendre son texte. Je croque mon dernier quartier de clémentine et lève le nez de mon clavier pour croiser le regard de Sophie qui, enrhumée, m’envoie un baiser de loin, suivi de près par Jules qui passe une tête pour nous faire un petit coucou. Je m’attarde dix minutes aux toilettes, non que je sois une fétichiste de la cuvette, mais les WC sont l’endroit où on entend le mieux la radio et donc, nos textes. De là à faire un rapprochement hâtif, il y a un énorme pas que je défie quiconque de franchir sous peine de prendre mon clavier à travers la figure. Toujours est-il qu’on est bien, dans les toilettes. C’est calme, paisible, la radio résonne et grâce aux dames-pipi bénévoles, c’est propre et ça, on a beau être des purs esprits, on apprécie ! 

Diable, je me rends compte qu’il est 14h53 et que Luna chante dans 7 minutes à la radio. Elle m’est tombée dessus tout à l’heure parce que j’ai sous-entendu dans mon précédent texte qu’elle n’avait pas préparé ses chansons. Je publie donc un erratum. Luna est une pro qui travaille ses sets depuis des semaines, que dis-je, des mois ! Peut-être même depuis l’édition 2017 des 48h. Elle a zappé ses révisions de concours blancs exprès pour réviser ses accords, elle a divisé par 3 ses heures de sommeil, a mis son couple en péril et négligé sa famille pour répéter d’arrache-pied et être au top pour…Arrrgh ! C’est dans 3 minutes !  Il est peut-être temps que je retourne aux toilettes…

Alors voilà, à chaque fois, c’est pareil. J’ai beau m’y attendre, m’y préparer, rien n’y fait. Quand j’entends Luna chanter, mes poils se dressent comme… Comme quoi, d’ailleurs ? Je laisse galoper votre imagination débordante et reviens à mes moutons. Luna m’émeut. Pas toujours, hein. Dans la vie, parfois, elle m’horripile ou elle me fait pleurer de rire. Mais quand elle chante, elle me chavire et les larmes embuent mes yeux.Et pourtant, je n’ai pas la larme facile, je vous prie de le croire.  Mais avec elle, ça ne rate jamais. Sa voix m’effleure et me caresse et m’élève et m’envole et me fait planer haut, très haut. Elle me plonge dans les abîmes d’une sensibilité pourtant à fleur de peau. Elle me remue jusqu’au tréfonds de l’âme. Elle m’apaise, elle m’envoûte, elle m’ensorcelle. Bref, j’aime bien quand elle chante, ma fille. Parce que c’est ma fille. Je vous l’ai déjà signalé ce matin, mais vous n’êtes pas à ce qu’on vous dit. Bref, après avoir quitté l’atelier à 14h59 et m’être ruiné l’épaule en me cognant contre le paravent qui fait office de porte, je me précipite dans le hall d’accueil pour écouter chanter ma fille dans son kiosque. Là, je retrouve Igor, que j’avais perdu de vue depuis ce matin et qui filme avec son téléphone notre progéniture et sa guitare, toutes deux installées devant un micro devant Cécile et Axel. Luna chante 4 chansons, dont une version remix d’Aline, de Christophe. Les deux dernières dont j’ai oublié les titres mais ça va me revenir, ou pas, lui vont très bien et les éloges pleuvent dans le public. « Très belle voix », « Joliment interprété », « Waow ! » « A quand le Zenith ? » Bon, pour le Zenith, je ne suis plus très sûre, c’était peut-être dans ma tête. En tout cas, je ne regrette pas l’ambiance des toilettes. Même si vous êtes sceptiques, c’est mieux d’être dans la fosse ! Oups ! Pardon.

Bref, cet instant de grâce passé, je félicite ma grande chérie et je retourne à l’atelier qui est un peu devenu ma maison. Là, un petit groupe répète les lectures du prochain passage radio. L’ambiance est concentrée et autour de la grande table, ça cliquette à tout va. On entend presque les mots s’entrechoquer dans les têtes surchauffées avant d’être couchés sur l’écran. Les bruits du dehors nous parviennent vaguement. Les commentaires des spectateurs, la radio que l’on écoute en live. Lola apparaît sous son bonnet et disparaît aussitôt. Pas d’inspiration ? Anna, qui séchait un peu en début de parcours, noircit page sur page. Elle s’arrête parfois pour mordiller le capuchon de son bic puis reprend le fil de son texte. Elle s’interrompt pour nous parler de Copyright, un spectacle de danse court mais incroyable puis se replonge dans ses écrits. Déjà 16h04. Le bar m’appelle. J’ai précisé que je ne savais ni encaisser une carte bleue ni tirer de la bière mais ça n’a l’air d ‘émouvoir personne alors alea jacta est, je suis partie jusqu’à 19h !

48h en (presque) live : Part 3

« Toute première fois, tout-toute première fois, tout-toute première fois », chantait Jeanne Mas. Mais elle, elle ne parlait pas de tenir le bar. Enfin, je ne crois pas. Ou alors le sens caché de la chanson m’avait échappé, à l’époque. Oui, parfaitement, à l’époque, une époque lointaine que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Bref, trêve de digression, revenons à nos pressions. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Ma toute première fois dans la peau d’une barmaid. Bon, alors, je vous arrête tout de suite, quand on prononce le mot « barmaid », dans l’inconscient collectif, ça prend immédiatement la forme d’une bombasse sculpturale en short moulant qui prépare des cocktails au shaker debout sur le bar. Autant parfois oui, autant là…non. Moi, j’étais emmitouflée dans mon pull noir avec mon tee-shirt bleu du staff par dessus, ce qui, ne nous voilons pas la face, était du plus bel effet. Quant à préparer des cocktails, n’y pensez même pas. D’abord, ce n’était pas sur la carte, ensuite, étant novice dans l’exercice, j’ai préféré éviter les initiatives et m’en tenir aux bières en bouteille, verres de vin (« jusque là, à peu près, tu vois, là, le trait que tu vois pas ? Eh ben c’est là que tu t’arrêtes « ) et jus de fruits en tout genre. Et surtout, last but not least, la bière à la pression. Ooooh bonneu mèreu ! Alors moi, déjà, la bière, je n’aime pas la boire. Alors la servir… Bref, quand j’ai découvert que Huaïna m’avait confié le bar de 16h15 à 19h, je me suis dit qu’elle avait dû abuser du nectar d’abricot. Visiblement, elle connaissait pas Raoul. Mais quand j’ai vu sur le planning que j’étais SEULE aux commandes, je vous le dis sans détour : j’ai frémi. Je m’en suis ouverte aux organisateurs qui m’ont grandement rassurée en déployant des trésors de persuasion tranquillisante du genre « T’inquiète, ça va aller ». Bon. C’est donc le cœur léger… et un gros nœud à l’estomac que j’ai quitté mon cher atelier d’écriture où l’affluence d’auteurs avait fait grimper la température de quelques degrés et je me suis rendue à l’étage du dessous. Je me suis glissée derrière le bar et j’ai demandé à Camille, ma prédécesseuse, une formation expresse de barmaid. « Alors, le rouge est sous le bar, le blanc au frigo. Les jus aussi. Il y a poire, pomme de reinette et pomme d’api, abricot, pêche et orange, mais poire y’en a plus et pomme ça dépend. Y’en a peut-être dans la réserve. – Où ca ? – Là-bas. Et la clé est là. Pour les bières, il y a l’ambrée, la blonde et la brune en bouteille et la blonde à la pression. – Oui, justement, à propos de la pression, comment je fais pour… ?- Alors, tu prends ton verre comme ça, tu fais couler un peu avant, ensuite tu remplis en le tenant penché et à la fin, tu mets une petit coup de giclette arrière pour que ça mousse, OK ? – Euh…oui. -Pour encaisser la carte bleue, tu tapes le montant, tu valides, tu donnes le ticket au client, tu revalides et tu prends le 2ème ticket. C’est hyper simple, même toi, tu devrais y arriver. Pour le lave- vaisselle, on a déjà mis deux sachets…- Deux quoi ? – Des sachets, mais t’occupe, on les a déjà mis. Quand le panier est rempli, tu appuies fort, mais genre, FORT, pour refermer le machin et tu envoies la sauce. Quand c’est fini, 3 minutes après, tu vides, et tu re-remplis jusqu’à ce que mort s’ensuive. T’as tout compris ? -Euh…oui. – Ca va aller?-Euh… – Super. Je fonce. A tout’ ! » Tout ça en un peu moins de 3 secondes et demi.

Et me voilà seule derrière le bar avec un premier client qui arrive et qui me demande quoi, je vous le donne en mille ? Une pression. Et là, l’idée m’a fugacement traversée de fuir à toutes jambes et de retourner me réfugier à l’atelier d’écriture. Mais je me suis raisonnée : « Stéphanie, tu es une grande fille, tu ne vas pas te laisser impressionner par un peu de mousse. Prends ton courage et ton verre à deux mains et sers à ce gentil monsieur la bière qu’il demande. »

Et croyez-le ou non, c’est ce que j’ai fait. Avec la nonchalance de celle qui est née dans un bar, j’ai saisi sous le comptoir un verre qui m’a aussitôt glissé des mains et que j’ai rattrapé au vol, ni vu, ni connu, et je me suis dirigée d’une démarche assurée vers la tireuse. Je l’ai défiée d’un regard lourd de menace qui voulait dire « Don’t fuck with me, Bitch » ou, pour les non anglophones « Si tu es gentille avec moi, je serai gentille avec toi ». J’ai laissé couler les premières gouttes sur mes bottes et j’ai incliné le verre qui s’est lentement rempli d’un liquide ambré. Quand il s’est mis à flirter avec le bord du verre, j’ai actionné d’un coup sec du poignet la giclette arrière et une écume blanche a presque instantanément  orné le dessus du verre. Magique ! Bon, dans mon enthousiasme, je laissé la mousse déborder et s’écouler doucement le long du verre mais au fond de moi, je me suis sentie emplie d’une immense fierté et c’est le regard haut et le pas sûr que j’ai remis au client sa blonde, non sans en avoir préalablement imprégné copieusement le bas de mon tee-shirt. Mais ça, il ne l’a pas vu. Après ce déflorage houblonné, je me suis sentie assez à l’aise pour taquiner le chaland et discuter le bout de gras histoire de recueillir quelques avis de spectateurs. J’ai peut-être légèrement présumé de mes forces et sans doute oublié de noter quelques jus. Ah oui, parce qu’en plus, il fallait les noter sur un petit cahier. J’espère de tout cœur ne pas avoir plombé toute la compta du festival, si c’est le cas, les amis, vous me retiendrez ça sur ma paye. « Mais tu n’es pas payée », m’objecterez-vous parce que vous aimez bien faire les marioles et chercher la petite bête. « Certes, et alors ? » vous répondrai-je parce que je veux toujours avoir le dernier mot. J’ai donc profité de ma position de barmaid pour interroger le public qui avait l’air dans l’ensemble plutôt content de l’expérience. A partir de cet instant, j’ai vu défiler à peu près tous les membres du staff qui avaient manifestement eu vent de mes angoisses existentielles et venaient s’assurer que je tenais le coup. Léa et Céline m’ont gentiment tenu compagnie jusqu’à 18h et ont été relayées par Constance, Huaïna et le responsable du bar en personne, Lucas, qui est arrivé pile poil à un moment où la tireuse venait de tirer sa révérence et de m’éternuer sa mousse au visage. Il a fallu changer le fût, qui était vide, et laisser la bière calmer ses ardeurs avant de la servir. Car oui, la bière a ses humeurs et quand tu la bouscules, elle te crache à la face. C’est son côté… lama. Bref, au moment où je pensais avoir fait le tour de la question, présomptueuse que j’étais, un monsieur s’est penché vers moi et m’a demandé ce qu’il y avait dans le fût. « De la bière », ai-je répondu du tac au tac, avec l’assurance de celle qui maîtrise son sujet. « Oui, ça je sais bien, mais laquelle ? » a insisté le curieux et là, tout l’édifice que j’avais péniblement construit pintes après pinte s’est brusquement écroulé. J’ai ouvert puis refermé la bouche dans une piètre imitation de carpe sacrée et j’ai écarquillé des yeux en mode merlan frit et là, ça s’entend que je commence à avoir méchamment la dalle ? D’autant que, comme vient de le faire remarquer Juliette qui écrit à côté de moi, « ça sent carrément la bouffe, là ». Mais ne nous égarons pas et recentrons le débat.  Après un grand moment de solitude, j’ai tenté un « Vous voulez la goûter ? » Le coquin a alors balayé ma question d’un « Vous êtes sûre que ce n’est pas la même que dans la bouteille ? » A quoi j’ai rétorqué que « Pas du tout, Monsieur, c’en est une autre qui n’a rien à voir ». Et là, le perfide m’a asséné un vilain « Ah bon ? Parce qu’hier soir, c’était la même ». Pan, sur le bec ! Du coup, je lui ai servi sa pinte nickel, il l’a regardée d’un œil de connaisseur et il m’a crucifiée d’un « C’est bien ce que je disais. C’est la même. Trouble. Blonde. Fabrication artisanale. Ca se voit à l’oeil nu ». Bonne joueuse, je l’ai félicité sur son excellente vision de nuit et suis allée dignement pleurer ce cuisant affront dans la cuisine. Après m’être ressaisie, j’ai cherché Lucas pour qu’il me fasse une formation accélérée sur la bière, mais il était introuvable. Quand j’ai fini par lui mettre la main dessus, il m’a confirmé que c’était effectivement la même bière et, humiliée, j’ai rendu mon tablier. Avec ou sans short rouge moulant, faut pas chatouiller la barmaid.

48h en (presque) live : Part 4

Il est 22h et je sors du concert de Collision, un quatuor composé de Louise, Feriel, Corentin et…MA FILLE ! Ils ont mis le feu à l’espace OFF qui était plein à craquer d’un public chaud bouillant. J’ai encore eu la chair de poule. Normal.Violon, cajon, piano et guitare accompagnaient les chanteurs sous l’oeil impavide de Marcel le caméléon. Non, au risque de vous décevoir, je ne suis toujours pas ivre, je n’ai bu que de l’eau pour faire descendre les délicieux samosas du food truck que j’ai dégustés avant le concert parce que l’amour et l’eau fraîche, hein, ça va bien deux minutes. Devant l’espace OFF, Marie se déhanchait avec un panneau « silence » comme les minettes en bikini qui annoncent les rounds dans les matchs de boxe. Très efficace. Personne ou presque n’a pipé mot pendant le concert. 

Après m’être rougi les paumes en applaudissant comme la groupie que je suis, j’ai retrouvé mon ordi dans l’atelier et me suis attelée à ce nouveau texte, encore pleine des mélodies entendues tout à l’heure.Et pleine aussi d’une journée bien remplie et qui est loin d’être finie. J’ai beau le savoir, je ne peux empêcher mes paupières de papillonner. Je sens que l’heure est venue d’avaler une vitamine que m’a donnée hier une amie chaman en prévision de ce marathon de 48h. Je ne sais pas trop ce qu’elle contient, elle m’a juste conseillé de manger un petit truc avant. Est-ce qu’un cookie chocolat praliné entre dans la catégorie des « petits trucs » ? Je vais supposer que oui, d’abord parce que personne ne m’a prouvé le contraire, ensuite parce que ce cookie me fait très très envie et qu’à 22h29, j’ai bien le droit à une petite douceur, non ?

En parlant de petite douceur, Joseph a lancé tout à l’heure l’idée d’une session nocturne spéciale « poèmes érotiques ». Laurent a chaleureusement approuvé et la proposition a rencontré un franc succès parmi les auteurs et autrices présents dont les yeux se sont soudain mis à briller, et pas seulement à cause de la fatigue. Bart a suggéré des Haïkus mais quelqu’un, peut-être moi, a trouvé le concept trop réducteur. Puisqu’on ouvre les vannes, autant les ouvrir largement. Notre grand manitou avait également émis le souhait d’entendre des textes en langues étrangères, et comme ses désirs sont des ordres, je vais me risquer sur ce terrain glissant en demandant par avance pardon à celles et ceux dont j’écorcherai peut-être l’idiome. 

En attendant, autour de moi, les auteurs s’affairent tandis que dans le « petit salon » attenant, les lecteurs préparent activement la prochaine session radio. Ca pépie et ça s’esclaffe derrière le rideau, dans cette alcôve moelleuse et coussinée où je ne détesterais pas m’étendre quand l’épuisement aura raison de moi. Mais cette heure n’est pas encore venue et j’en ai encore sous la pédale, comme disait un ami cycliste. Sur ce, je vais avaler ma pilule magique et mon gros cookie pas light mais who cares ?

48h en (presque) live : Part 5

A trois heures vingt-deux, le Sel est éveillé

Le public est en liesse, les spots sont allumés

J’ai retiré mes bottes et chaussé mes lunettes

Je me suis étendue auprès de Poupinette

Poupinette c’est ma fille, pas celle qui chante. La p’tite

Même si elle chante aussi, je sais, j’ai deux pépites.

Pour l’heure, elle en écrase, couchée sur le sofa

Mais Morphée me déserte, alors, je ne dors pas.

J’ai essayé, pourtant, dans le petit salon

Que j’avais repéré en lisant mes brouillons.

Je me suis dit « couche-toi, sois un peu raisonnable

Sinon demain matin, tu n’s’ras pas présentable »

Mais rien n’y fait, hélas, j’arrive pas à pioncer

Alors j’écris des vers pour ne pas m’ennuyer.

Plus tôt dans la soirée, je lus à la radio

Des textes de tout poil, angora ou vison,

Certains complètement fous, d’autres très intellos

Ou gravement déjantés, émouvants ou mignons.

Mais ce qui décupla mon plaisir et ma joie

fut avec ma cadette de partager cela

Nous rîmes de concert, jusqu’aux larmes, il est vrai

En jouant moi un plaid et elle une télé

J’assistai également au set de Luna

Luna, c’est mon aînée, mais vous l’savez déjà.

C’est elle qui me fait dresser les poils des bras

Mais je l’ai déjà dit. Je n’y reviendrai pas.

Voilà bientôt une heure que nous avons fini

Et que j’entends des gens dire « Là, on est partis »

Mais ils ne partent pas, même s’ils sont épuisés

Ils ne veulent pas rater une miette de la soirée

Alors ils tournent et virent, disent au-revoir aux copains

Font mine de s’éloigner et reviennent sur leur pas

Assurent qu’il faut dormir, pour être en forme demain

« Bon, cette fois-ci, j’y vais. Et toi, tu rentres pas ? »

Chann est toujours blottie sous son plaid écarlate

Elle a passé son temps à courir les couloirs

Mais diantre, j’entends les Schmouls, en Rotonde, c’est l’éclate

Ils débutent leur concert avec une heure de r’tard.

Le public les acclame, c’est le délire total

Dans l’atelier désert, tout est calme et paisible

Là-haut, c’est la folie, et tout le monde s’emballe

Mais Chann les ignore. Elle rêve, inaccessible.

48h en (presque) live : part 6

Alors là, les amis, il va falloir que j’investigue sérieusement la composition de ma petite pilule magique parce que, sérieux, c’est de la bombe, bébé. Je suis dans un état d’euphorie teintée de zénitude qui me laisse coite. Moi qui d’habitude tombe de sommeil à 23h et arbore un joli teint verdâtre dès que je n’ai pas mes 13h de sommeil, j’ai présentement une pêche du feu de dieu. Je ne sais pas combien de temps ça va durer ni à quel moment je vais sentir le grand coup de pompe qui me laissera groggy mais je ne doute pas que d’une façon ou d’une autre, je vais payer ma folle nuit. Car oui, la nuit fut folle. N’allez pas vous imaginer que j’ai vidé des fûts de Sévroise et dansé sur les tables nue sous mon poncho en scandant « Rhum Coca Kings ». Que nenni, les amis. Je suis restée sagement à écrire une ode à Chann en alexandrins, j’ai rencontré Louis, le saxo du groupe Funk Fiction qui s’est prêté volontiers et, oserais-je le dire, avec un talent certain, à l’exercice périlleux du Time up, j’ai croisé Laurent sur le départ, papoté avec Marie qui frissonnait sous son gros pull, bordé la dormeuse au plaid rouge, recroisé Laurent sur le départ, discuté avec un membre de l’équipe vidéo, recroisé Laurent sur le départ, enlevé trois fois mes bottes pour me coucher près de Chann, remis trois fois mes bottes parce que je n’arrivais pas à fermer l’oeil, croisé Laurent qui cherchait sa femme, erré dans le catering à la recherche d’un petit truc pour me caler la dent creuse, croisé Justine qui mangeait du fromage et Laurent qui attendait sa Lauriane, regagné l’atelier d’écriture et hésité sur la suite des événements tout en disant pour la 26ème fois au revoir à Laurent qui n’allait pas tarder à y aller.

La nuit avançant et les troupes s’épuisant, la question s’est posée de maintenir ou non le spectacle surprise des Echappés. Chann, émergeant pâlotte des bras de Morphée, a reçu l’ordre de Huaïna de retourner se coucher vite fait. Nous nous sommes donc mises en quête d’un lieu propice au repos. Notre premier choix s’est porté sur le plateau, mais en découvrant les toiles d’araignées et les croix en bois qui donnaient à la salle une joyeuse ambiance de cimetière hanté, nous avons battu en retraite. Nous avons tenté une installation sur les bancs de l’espace off mais leur étroitesse et leur dureté nous en ont découragées. Nous nous sommes rabattues vers notre atelier mais Axel notre animateur radio avait déjà investi les lieux ET notre plaid rouge. Nous avons tenté d’extraire de sous son grand corps musclé deux petites couvertures et mon coussin violet mais comme il fait trois mètres douze, ça n’a pas été une mince affaire. Nous sommes ensuite reparties avec notre baluchon vers la salle des archives. La place était déjà prise par un corps enroulé dans un truc indéfinissable et j’ai découvert il y a quelques minutes qu’il s’agissait en réalité de Bart. Pas le truc indéfinissable, hein. Le corps ! Nous avons donc repris notre quête, aperçu d’autres formes plus ou moins emmaillotées, plus ou moins vautrées, plus ou moins ronflantes. Mais nous n’avons pas revu Laurent. Il avait dû finir par partir.

Au détour d’un pilier, Bastien, cher Bastien, mon frère de frisouilles, nous a recommandé de nous réfugier dans le foyer qui, détail ô combien essentiel vu les circonstances, est équipé d’un …canapé !

Nous avons remercié notre ange gardien et foncé avec notre barda dans le foyer qui était effectivement inoccupé et canapeté. Oui, ami puriste, je te confirme que ce mot n’existe pas et alors ? Tu vas faire quoi ?

Une fois dans le foyer nous avons débarrassé le canapé de ses coussins et nous nous sommes blotties tête bêche. Après quoi, nous avons bataillé ¼ d’heure avec nos couvertures qui menaçaient de nous saucissonner et à force de gigoter, nous avons bien failli nous retrouver par terre les quatre fers en l’air. Mais nous avons fini par dompter les couvrantes récalcitrantes et après avoir chantonné quelques secondes nous avons fermé les yeux. Pour les rouvrir aussitôt parce qu’Alex, notre Grand Organisateur venait de pénétrer dans le foyer. Nous nous sommes identifiées et non content de fermer la porte derrière lui, il l’a fort gentiment barricadée pour que personne ne vienne nous déranger. Et ça, on dira ce qu’on voudra, c’est très délicat. Merci, Alex.

Serrée contre la chaleur de ma fille, je n’ai pas dormi. Elle oui. Moi non. Pas moyen. Pourquoi diable ? Mystère et pilule magique. A huit heures tapantes, « Beautiful stranger » résonne dans le téléphone de Chann. Nous nous étirons comme des chattes, nous nous racontons notre courte nuit et nous partons nous enfermer dans les toilettes pour barboter dans le lavabo. A cette heure-ci, pas encore de radio. Tout est silencieux. Seuls des messieurs passent le balai sans un bruit en contournant les obstacles vivants. Des corps alanguis, avachis ou pelotonnés jonchent le sol du Sel sur notre passage, qui sur des sacs remplis de polystyrène, qui dans de grands manteaux. A moins que ce soit des rideaux. D’ici, je ne vois pas bien. Après avoir passé 10 minutes à tourner sur moi-même en cherchant la poubelle qui est sous mon nez, comme quoi, une nuit blanche, à mon âge, ça laisse forcément des traces, nous quittons le calme blafard des toilettes et regagnons pour la énième fois notre cocon de création.

Nous y sommes rejointes par Barth, emmitouflé dans sa doudoune. Il ressemble à un sarcophage. Il n’y a que ses yeux qui bougent et il se plaint d’avoir dû boire de la mauvaise bière. Je m’étonne et m’insurge. De quoi ? De la mauvaise bière au bar du Sel ? Tu t’égares, mon ami. Ici, on n’a que de la brune, de l’ambrée, de la blonde sous pression, tu sais, celle qu’on sert en inclinant le verre comme ça et en donnant un petit coup de…Bref, Bart me gratifie d’un regard flou et m’explique que les fins de fûts sont toujours difficiles, surtout quand les fins de nuit le sont aussi. Encore une info à ajouter à mon encyclopédie de la cervoise. Peu à peu, d’autres auteurs nous rejoignent, Lucile, fraîche comme une rose, Joseph, encapuchonné qui s’affale dans un fauteuil et s’enfouit sous une couverture pour finir sa nuit au chaud. Helen passe en trombe devant la porte et nous lance un sonore « Hello les survivants ». Puis, soudain, Chann se matérialise et crie à la cantonnade « Ptit dej au catering », ce qui a pour effet immédiat de réveiller tout le monde, même Barth, qui, de joie, lève un sourcil.

Je me précipite dans les escaliers et fonce vers la rotonde. Malheur à qui se dresse sur mon chemin. Arrivée dans la cuisine, je suis accueillie par Malika et des croissants. La première sourit. Les deuxièmes croustillent. Les conversations vont bon train parmi les quelques affamés. Ca parle mariage multiculturel et sales gosses qui laissent traîner leurs sachets de thé partout. Ca compare ses heures de sommeil, ça raconte sa nuit. Anna la rapeuse de choc nous avoue en beurrant ses tartines de pain frais que le petit-dej est son repas préféré. Je l’imite parce qu’un croissant n’a pas suffi à apaiser ma fringale. Décidément, c’est régime-régime, ce week-end ! Je me bats 30 secondes avec le pot de confiture de framboises qui me résiste. Constance le dégomme en deux temps trois mouvements. Elle rigole pas avec la confiote, Constance.

Le temps de finir mes tartines framboisées et il est déjà l’heure de préparer sous la houlette de la souriante Julie le premier passage radio de la journée. Nous tentons une retraite vers le petit salon mais Anna se fait rabrouer par Edouard qui squatte les coussins et n’a pas l’intention d’en bouger. Nous nous expatrions donc au niveau inférieur où nous installons près du bar encore désert quelques tables et chaises. Elles sont marrantes ces chaises, remarque Lea. On dirait qu’elles sont lourdes alors qu’en fait, elles sont légères. Je me faisais exactement la même réflexion.Le piège des apparences… Après une préparation minutieuse consistant en un décryptage des hiéroglyphes couchées sur le papier suivi d’une mise en voix guidée par Julie, nous nous pointons comme des fleurs devant la radio.

Hélas, trois fois hélas, le réveil est difficile pour tout le monde, y compris le matériel qui se rebelle. Axel et Cécile nous informent que « les amis, ça va pas être possible tout de suite rapport à la technique qui dysfonctionne et qui nous a mis 25 minutes dans la vue ». On est un peu déçus parce qu’on était chauds comme la braise, mais comme au fond, on est cool, on repart devinez où ? A l’atelier d’écriture, bien sûr ! Là, un rap est en cours d’écriture dans le petit salon. Il y est question de faire l’amour dans une salle de bain ou quelque chose comme ça. En tout cas, ça a l’air très prometteur. Chann passe et repasse en trottinant avec des sacs poubelle et des rouleaux de PQ. Edouard a levé ses fesses des coussins et achève un poème en vers en contre tout. Anna, soulagée d’avoir retrouvé son sac, se concentre sur un nouveau texte. Les deux rappeurs derrière moi « rêvent d’une grosse voiture et sont proches de la rupture ». Quelqu’un traverse le couloir et son visage me dit quelque chose. Je ne suis pas physionomiste mais je suis sûre de le connaître. Ce regard bleu, ces cheveux ébouriffés, ce croissant… Ca y est, j’y suis ! C’est mon mari !

Mais Laurent vient d’apparaître, telle une vision apocalyptique. Il a le regard hagard, la mine défaite et la voix rauque. Le lolo des grands jours, au taquet comme jamais !! Il va envoyer du bois !

Ah ! On nous signale que la radio est réparée et nous attend. C’est reparti pour un tour !

48h en (presque) live : Part 7

« Voilà, c’est fini » chantait le nostalgique Jean-Louis Aubert en repensant à un bonheur passé.

Ben oui, Jean-Louis, toutes les bonnes choses ont une fin, le 48h au Sel aussi est bel et bien fini et je n’en fais pas toute une histoire. Enfin si, puisque c’est précisément l’objectif que je me suis fixé en pénétrant samedi matin dans l’atelier d’écriture. Ecrire en presque live mon histoire de cette aventure que je n’ai pas envie de qualifier tout de suite parce que je ne suis pas encore tout à fait en pleine possession de mes moyens, mais quand ça viendra, je vous ferai signe. Malheureusement, la course folle des événements m’a empêchée hier soir de mettre un point final à ladite histoire alors je vais le faire maintenant, même si la radio est démontée et que personne ne me lit. Juste pour le plaisir de boucler la boucle, et croyez-moi, je sais de quoi je parle.

En me réveillant, ce matin, je me sens bien. D’accord, c’est un peu pauvre, niveau vocabulaire. Je pourrais dire rayonnante, heureuse, comblée, reposée et un tas d’autres choses, je vous remercie, moi aussi, je connais lexilogos, mais la vérité, c’est que je me sens bien. Avant de me hisser à la verticale, je m’autorise tout en m’étirant un rapide flashback mental des épisodes de la veille qui se bousculent en vrac dans ma petite tête encore embrumée, eh oui, c’est plus ce que c’était, ma bonne dame. 

Vision d’un balai de chaises avec Mathilde en espace Off pour transformer le décor en un temps record et limiter les retards. On se serait cru dans Fantasia mais sans les balais. 

Vision de préparations de lecture, blottis dans le salon, le radiateur à fond, pour découvrir les textes des festivaliers et se les mettre en bouche (on est toujours sur les textes, là, hein. Non, mais je préfère préciser) avant de les offrir au public via la radio des 48h. Au cours du week-end, j’ai eu la chance et le privilège d’en lire un certain nombre, ce qui, je vous l’accorde, ne veut rien dire, mais quand on aime, on ne compte pas, et après avoir découvert des plumes poétiques, acerbes ou hilarantes, j’avoue que le texte qui me vient spontanément à l’esprit à l’heure où je vous écris ces mots est celui du petit Matis : « Jésus raconte : il y a un an, le fils du boulanger a vomi dans les coulisses du Sel ». Oui, je sais, ça laisse sans voix.

Vision de visages pâles soulignés de tee-shirts bleus qui errent dans le Sel à la recherche d’une pile pour un micro, d’une table en bois disparue, d’un thé ou de Karin, quelqu’un a vu Karin ?

Vision de Simon qui court. Partout. Tout le temps. 

Vision de dizaines de doigts qui pianotent sur des claviers, on peut presque voir les mots s’envoler des écrans et flotter dans l’atelier, en suspension dans l’air chargé d’inspiration, et on devient accro. C’est addictif, cette fièvre créatrice. La preuve, ce matin encore, au lieu de travailler sur ma série, je suis encore là, devant mon ordi, contaminée. Elle va être violente, la desintox !

Je finis par me lever pour aller déjeuner. En descendant, je réalise que je n’ai même pas pris de douche hier soir en rentrant. J’ai quitté le Sel avec ma famille après le spectacle d’Igor, écrit et répété par des comédiens et non comédiens entre samedi matin et dimanche après-midi. Une vraie prouesse et une réussite à en juger par l’ambiance qui régnait dans le public pendant la représentation. Installée entre mes deux filles après un jeu de chaises musicales pour fuir la lumière aveuglante des projecteurs (après 48h de veille, ça ne met pas tellement en valeur la pâleur diaphane de nos teints de bidet ET ça agresse un poil la rétine. L’amour familial a ses limites), j’ai ri de bon cœur tout en baillant à m’en décrocher la mâchoire, pas parce que je m’ennuyais, non, mais parce que, comme disent les randonneurs italiens dans les Bronzés font du ski, je commençais à sentir la fatigue.

Je repousse donc la douche à plus tard et vais me préparer un thé. J’en ai englouti une quantité phénoménale pendant le week-end. Ca et du sucre . Il paraît que c’est l’aliment préféré du cerveau. Je crois que c’est surtout l’aliment préféré de la cellulite mais bon, la fin justifie les moyens, me suis-je répété à chaque fois que j’engloutissais une bouchée de cookie. Eh oui, la chair est faible.

Après avoir siroté mon Earl Grey, je grimpe allègrement l’escalier direction de la salle de bain et là, c’est le drame. Je sursaute en voyant ma tête de puzzle pas assemblé, le genre Picasso période verdâtre. Moi qui me sentais en forme. Je me remémore tous les compliments qu’on m’a faits hier sur ma mine radieuse et  verse mentalement une larme de nostalgie. J’ai tellement l’habitude qu’on me répète à l’envi que j’ai l’air fatigué, le teint blême et des petits yeux que ces commentaires sur mon apparente fraîcheur après une nuit blanche m’ont bercée jusques au fond du cœur d’une étreinte imprévue aussi bien qu’irréelle. Du coup, le face à face avec mon reflet décomposé n’en est que plus brutal.Un frisson me parcourt l’échine. Fait pas chaud, ici. Ca me rappelle le hall du Sel hier après-midi, alors que je jouais du scanner en tamponnant le public dans les courants d’air. Ca n’a pas été la partie la plus fun du week-end mais ça m’a permis d’écouter un peu la radio toute proche et de discuter avec le sympathique pôle accueil. Tout s’est finalement bien passé, si ce n’est un début de pneumonie et un petit souci avec le scanner qui scannait une fois sur 4, normal, dès que je m’approche un peu trop près d’un engin plus ou moins électronique, il se met à dérailler, c’est comme ça, c’est la vie, on n’y peut rien. Il n’est donc pas impossible que le festival ait enregistré une baisse brutale de fréquentation entre 16 et 18h dimanche. Si c’est le cas, je plaide coupable !

Sentant que ma bonne humeur du réveil commence à s’émietter comme un cookie choco-praliné dans un thé brûlant et que l’abattement me guette, tapi sous le tapis, je décide qu’il est urgent d’aller prendre l’air dans la forêt avec George. Pour ceux qui n’ont pas suivi, George, c’est la chienne. Elle a un an et elle est joueuse, câline, mignonne et complètement barge. En pataugeant avec ma poilue dans la gadoue du bois de Meudon, je laisse de nouveau mes pensées dériver vers le Sel et les rares spectacles que j’y ai vus. La poésie de Tom et la licorne, la beauté des corps dans Robes, la folie contagieuse et émouvante du Projet Georges et la délirante création du dimanche soir menacent de me replonger dans une légère nostalgie quand soudain, George, la mienne, manque de m’arracher le bras en filant comme une flèche sur la route, ce qui a pour effet de stopper net mon blues naissant. Me voilà partie à cavaler avec mes bottes de pluie à fleurs dans la bouillasse derrière une chienne dingo qui poursuit un camion poubelle et ça, vous me croirez si vous voulez, ça n’incite pas au vague à l’âme.

Je finis par la rattraper sous l’oeil goguenard (on n’emploie pas assez souvent le mot « goguenard » je trouve. L’année prochaine, aux 48h, je le mettrai dans les contraintes du Time up à l’atelier d’écriture : composer un texte contenant l’adjectif goguenard. Un rap, de préférence…hihi), sous l’oeil goguenard, donc, d’un autre propriétaire de chien qui me déclare péremptoire que « là, non, là, faut sévir ». Je me retrouve donc accroupie dans l’herbe détrempée en train de faire à ma chienne une prise de catch dite « de soumission » pour qu’elle comprenne qu’il faut laisser les camions poubelle tranquille. Je note mentalement la posture pour la tester l’an prochain sur les petits malins qui viendraient me mettre la pression sur la bière si d’aventure on me confiait de nouveau la responsabilité du bar pendant une paire d’heures, entre deux sessions de radio.

Cette séance avec George et le voisin a pour effet de me ramener sur terre et de mettre un terme définitif à mes réminiscences du week-end. Rien de tel qu’un chien fou comme remède à la mélancolie. Sinon, on peut aussi rejoindre les bénévoles qui, après avoir passé la semaine à transfigurer le Sel, s’activent désormais à ranger, balayer et briquer les lieux pour lui rendre son apparence habituelle après le tsunami de ces deux jours. En clapotant dans les flaques d’eau boueuse, j’ai une pensée pour eux mais un planning professionnel chargé me rappelle à la dure réalité et m’empêche de leur prêter main forte. Alors je leur envoie de gros baisers au parfum de sous-bois et je rentre travailler. Voilà, c’est fini.

Par Stephanie Aglat




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