Groupe EDLC

Generic selectors
Exact matches only
Search in title
Search in content
Post Type Selectors

La Balaye mésange – Groupe EDLC

La Balaye mésange

 

La petite femme avance regard au sol. La Balaye Mésange on l’appelle à cause de sa tignasse en forme de nid. Parfois des oiseaux viennent s’y coller et d’un coup de nuque elle fait voler ses longues mèches blanches qui balayent les oiseaux trop aventureux.

 

Une travailleuse. C’est la Balaye Mésange. Elle travaillait le bois avant. Ses mains sont plus ridées que le tronc d’un vieux chêne. Sa peau est calleuse et ses os, des épines. Elle a les yeux bleus très clairs, comme le ciel un jour d’été. Elle regarde avec ses yeux bleus le béton gris, manteau de ville sur les épaules, jamais elle ne passe les manches la balaye mésange, le manteau que sur les épaules. Dessous un vieux pull de laine blanc, qui malgré le temps reste blanc comme la neige. Pantalon militaire et rangers. Elle a été mariée la Balaye Mésange. Mariée à un militaire. C’est ce qu’on dit. Ce qui se raconte au village. D’autres racontent qu’il était oiseleur et que à sa mort c’est en mésange qu’il revient la hanter, la battre à nouveau certains racontent. D’autre disent l’embrasser. Personne ne saura jamais en vrai. Elle marche toujours le regard au sol. Jamais regarder le ciel. Jamais. Surtout pas. Elle marche comme ça jusqu’à la forêt. Quand elle arrive à la forêt, alors seulement elle relève la tête et regarde droit devant elle. La forêt c’est à qu’elle est bien. C’est là qu’elle sourit. Elle écarte les lèvres et laisse apparaître de belles dents blanches. Un très beau sourire. Très peu l’on déjà vu sourire. Ceux-ci disent que c’est merveilleux le sourire d’une vieille femme. A l’orée de la forêt elle dépose son manteau de ville. La ville ne rentre pas dans la forêt. Elle la piétine sinon. La ville est trop lourde pour la forêt. Ne jamais laisser la ville entrer en forêt. Toujours la laisser à la lisière. Elle ôte ses rangers et ses chaussettes et elle marche nus pieds sur la mousse et la terre froide. Marquant le sol de sa voute plantaire elle sait où elle va. Parfois même elle ferme les yeux et laisse ses pas la guider vers le grand arbre au milieu de la forêt. Tu sais celui qui monte si haut qu’on le voit de la maison. Celui qui dit-on touche le ciel quand il est bas. Elle s’approche de l’écorce du grand arbre. Elle touche le bois. Les rainures du tronc. La mousse qui perle de rosée encore prisonnière et quelques insectes grimpeurs. Elle aspire tout l’air qu’elle peut. Un air rempli de senteurs, de fleurs de vie. Pas l’air de la ville qui dit on est pollué et salle et noir. Pas un air qui tache les poumons et irrite la gorge. Non un air pur dit on,  le plus transparent du monde. Elle enlace l’arbre. Elle grimpe sur le tronc à la force des bras. Ses petits bras de vieille ont de la ressource, ils hissent son corps vers les premières branches. Elle connaît les branches. On  dit que c’est l’arbre qui la porte, pas elle qui grimpe.

 

Elle sait où poser le pied, sur quelle branche. Pas une ne casse ni ne plie sous elle. Elle sait où serrer sa main si besoin. Elle sait tout ça. Depuis longtemps. Arrivée là-haut elle chante. Pas fort, pas pour le monde mais pour elle. Juste pour elle, dans ses cheveux disent certains. On ne sait pas comment ni quand elle redescend mais elle redescend c’est sûr. On a entendu dire par certains que c’est portée par le vent. Que le vent la berce et la dépose au sol comme une feuille à l’automne. Mais ça ce n’est pas vrai. Je n’y crois pas moi. Au village on raconte beaucoup d’histoires, certaines sont vraies d’autres sont des inventions. Les gens ils se raccrochent à ce qu’ils peuvent. A ce qu’ils pensent connaitre. Tout le monde se connait au village, c’est une petite famille tu sais. La Balaye Mésange, tu verras tout le monde la connait depuis des générations. Grand-père il en parlait déjà, et son grand père avant et certains disent que même son grand père avant la connaissait. Moi? Bien sûr que je la connais. Je ne lui ai jamais parlé non. Ca personne ne lui parle à la Balaye Mésange. Mais si je l’ai vue ça oui. Plusieurs fois. Comme je te vois. Pareil. Un jour je l’ai même vue la nuit. Je te le dis parce que c’est rare. On n’est pas beaucoup comme ça. C’était en été ou au printemps enfin je sais plus un jour où il faisait beau et chaud et où les étoiles brillaient là-haut. Elle marchait dans les rues comme toujours le regard vers le sol mais la lune éclairait son visage comme par en dessous. Elle était belle. Elle était plus jeune. Une jeune fille. Ses cheveux n’étaient plus blancs mais blonds. Blond comme le blé du petit prince tu sais celui de l’histoire avec le mouton dessiné et le renard et la rose. Je l’ai lu à l’école. Mon père petit il m’appelait le petit prince alors un jour à l’école j’ai amené le livre. Monsieur Mouture était si étonné qu’il a dit à tout le monde de le lire. La dérouillée que j’ai prise à la récré ! Mais bon tout ça pour dire que les longs cheveux blancs de la Balaye Mésange ils n’étaient plus blancs mais blonds, or plutôt et ils brillaient sous la lune. Sous son manteau de ville qu’elle porte en cape tu sais elle avait une belle robe à fleurs. A fleurs jaunes et bleues. Elle marchait mais je ne l’ai pas suivie. Maman m’a toujours dis : tu ne suis pas les filles ça leur fait peur. Je la comprends surtout la nuit. Et puis c’était la Balaye Mésange. Tu penses que je dis des conneries et que je raconte n’importe quoi ? Ou pire que je suis un attardé. Détrompe-toi. Je sais ce que je raconte. Et je ne te prends pas pour un naze. Tout ça est vrai.

 

Je te dis tout ça car si tu veux vivre au village il faut connaître les règles et comment ça marche ici. Tu sais c’est pas comme la ville et encore moins la capitale. Ici on dit bonjour à tout le monde et on tutoie même la boulangère. Je sais comment on nous décrit dans les journaux que vous lisez là-bas dans votre métro, mais c’est pas vrai tu le verras. On n’est pas des sauvages. On est juste des gens simples. Il n’y a pas que des agriculteurs tu sais. Oui papa et maman ont une ferme mais pas tous tu sais. Regarde la Balaye Mésange elle a pas de ferme. Elle fait un travail d’homme comme vous dites, ébéniste. Tu sais ce que c’est ébéniste ? Elle travaille le bois. Je te l’ai déjà dit en plus tu ne m’écoutes pas ou quoi ? Tu veux te faire dérouiller la gueule ? Ici un mot de travers ou de trop et c’est ton visage qui prend. D’abord ton œil puis souvent les lèvres si ce n’est pas tout de suite les dents. Alors écoute-moi. Mais on n’est pas des brutes. Ne pense pas ça. C’est un jeu un peu comme le roi du silence sauf que la c’est avec la parole. Tu connais quoi toi de la nature ? Je sais ça n’a pas de rapport mais je te pose la question alors réponds ! Oui c’est bien tu vois tu comprends vite. Allez vas-y dis-moi. Tu sais la nature c’est pas que les arbres et les cailloux. Je sais que tu n’as pas fini mais je te coupe parce que tu dis n’importe quoi. Et ça c’est pas possible surtout avec Balaye Mésange dans le coin.  D’ailleurs elle aussi elle vient de la ville on dit. De la grande je veux dire. Car moi j’appelle le village le village mais en vrai c’est une ville. Tu le vois bien. Pas une grande ville mais quand même une ville. Tu as pris le métro pour venir donc tu vois. Le métro c’est que dans les villes. Mais moi je l’appelle le village. J’aime bien se mot. Et puis le village ça fais plus simple. Moins lourd aussi. Plus aérien et surtout une ville où vit Balaye Mésange ne peux qu’être un village.

 

On dit que si un jour la ville s’agrandit trop Balaye Mésange partira et cherchera une ville village à sa taille. On dit aussi qu’elle emportera surement avec elle le grand chêne. Tous les enfants ont une cabane dans cet arbre tu sais ? Tous  pas aussi haut que Balaye Mésange, mais ils grimpent les gosses tu sais. Nous on sait grimper. Et après on se bat pour garder nos petites baraques de bois en haut de l’arbre. Avoir celle qui est  le plus haut. On fait nos nids certain ils disent.  On monte le plus haut pour entendre la voix de la Balaye Mésange se mélanger avec le chant du vent dans les branches. Sentir son souffle ricocher contre les feuilles sifflantes et dansantes sous lui. Moi tu vois j’aime sentir le vent sur mon visage. Je me sens vivant. Ici tu me diras, j’ai de la chance il vente tout le temps. C’est pour ça que je reste. Pour le vent et Balaye Mésange. Tu sais la capitale m’a appelé un jour. Elle voulait que je gonfle ses rangs. Que mon corps intègre son sein. J’ai dit non. NON NON très fort. Ma capitale c’est ici. Mon monde est ici. Pas là-bas entre le béton et le fer. Moi tu vois j’ai besoin de bois et de mousse, d’eau et de terre. Mais toi aussi sinon tu ne serais pas venu jusqu’à nous. Tu sais d’habitude les gens nous quittent, ils ne nous rejoignent pas. Les maisons s’abandonnent les unes aux autres. On les regarde, vidées de leur vie. Seules elles restent debout. On ne rentre plus dedans. Elles sont en deuil certains disent. Moi je pense plutôt qu’elles dorment attendant qu’un autre corps chaud et vivant l’anime. Tu comprends? Tu cherches quoi? Si, tu cherches un truc, avec tes yeux. Ne mens pas. Tu cherches Balaye Mésange ? Oui c’est ça ! Elle est partie. Elle reviendra tout à l’heure ne t’en fais pas.

Regarde plutôt ce ballet. Le cornu passe chercher son pain. Toujours son panier d’osier à gauche quand il est vide puis à droite une fois plein. Prof comme dans blanche neige, avec ces petites lunettes trainant derrière lui les enfants assoiffés de découverte. Ce petit toujours à la traine c’est Castor. Pas à cause de ses dents, non c’est le chef des cabanes. Le meilleur bâtisseur, maçon né certains disent. Comme son père. Maçon de père en fils. Ici on est de père en fils. Fermier de père en fils, prof de père en fils, maçon de père en fils. Dès ton plus jeune âge on t’entraine, on t’apprend à aimer ton métier, à ne voir que lui. Quand une affaire roule pourquoi la lâcher hein? Toi tu fais quoi dans la vie ? Ah bon ? Je ne pensais pas. Tu en as pas la gueule. Saches-le c’est un compliment. Et ton père aussi il l’était? C’est ça vous à la ville vous voulez tuer le père, faire tout à l’inverse. Et baiser avec la mère. Non je déconne t’inquiète. Tu as l’air surpris. Oui mon gars ici on sait lire. On sait écouter les histoires aussi et les raconter. J’ai beaucoup lu et pas que le journal. Je suis abonné tu sais. Aux nouvelles. Oui toujours être informé. Mais ce que je préfère c’est la BD à la fin du journal. Elle me fait rire. Elle me détend après toutes les mauvaises nouvelles étalées sur le papier. Jetées à notre gueule. Ah bah,  tiens voilà le Gratte Crayon. Lui c’est l’auteur, l’intellectuel. L’appelle pas le Gratte Crayon il aime pas ça. Moi seul j’ai le droit. Le Gratte Cayon toujours à ronger sa mine pour dessiner ou écrire ce qu’il voit. Après il envoie tout ça à la capitale et le mercredi on retrouve ses dessins et ses textes dans le journal. Moi je l’aime bien. Je trouve qu’il a une belle plume. Certains disent que c’est Balaye Mésange qui lui a donné ce don. Qu’un matin en panne d’inspiration il est allé en forêt. Perdu dans ses réflexions il a atteint le grand chêne et s’est assis. Gribouillant sur une feuille plus blanche depuis longtemps, sa mine c’est brisée. Le carbone a touché la terre et une larme a coulé de ses yeux. C’est à ce moment-là qu’une plume blanche comme la neige et légère comme le vent est descendue comme au ralenti du ciel. Il l’a saisie et a vu dans le soleil la chevelure de Balaye Mésange danser entre les feuilles. Quand il a ramené ses yeux sur sa main, la plume avait disparu mais son crayon était recoiffé d’une mine en carbone intacte et incassable dit-on. Mais ce sont  des légendes.

Ne me regarde pas comme ça. Je vais te casser la gueule si tu continues ton sourire en coin. Moi je te raconte les choses comme elles sont ici. Mais si tu t’en fous tu me dis. C’est pas moi qui débarque, c’est toi mon vieux. Et oui. Ne l’oublie pas. En te parlant, en voulant être cool avec toi j’attire les regards sur moi. Et les regards c’ est pas bien de les avoir trop longtemps sur soi. Mieux vaut rester discret. Des qualités on en a, mais des défauts aussi. En pagaille. Ici la tolérance, la plupart, ils la chassent. Ils ont peur. De la couleur, de la religion, de la sexualité. Oui même de dire son avis ça leur fait peur. Ici on veut penser comme tout le monde. Etre dans le moule, ne pas faire de vagues surtout pas. Si tu penses différemment ou si tu es différent tu finis comme moi sur le banc. Oui je suis sur le banc. Alors ne rejette pas mon aide. Je suis le guide. Le guide qui te permettra d’entrer dans le moule. Ne parle pas de religion et va voir le père Lilian, le dimanche même si Dieu n’est pas à tes cotés. Tu verras il est de couleur le père Lilian. C’est le seul ici. C’est mon pote le père Lilian. Même si tu vois Dieu n’est pas à mes côtés. Mais lui il s’en fout. Il m’a dit, tu sais mon fils, je suis ici parce que Dieu l’a voulu. Et si je suis encore debout et accepté au village c’est parce que Dieu m’accompagne. Sinon ma gueule serait burinée par les coups. Et il a ri. Et moi aussi du coup car je sais qu’il a raison. Mais attention le monde ici n’est pas raciste. Ne vas pas croire ça. Ils ont peur et veulent rester tranquilles. Ils ne viennent pas chercher des noises. Même les touristes ne sont pas les biens venus. On n’est pas un zoo merde! Pas des putains d’animaux bizarres qu’il faut venir admirer dans leur milieu naturel. Il y a la télé pour ça mon vieux.

 

C’est vrai parfois tu entends et vois des gens parler seul, au ciel et à la terre. Mais c’est normal ici. Ici personne ne se parle vraiment. On écoute mais on ne parle pas trop. Rester dans le silence. Regarder et Ecouter.

 

Les seuls mots qui sortent sont ceux qui ne peuvent pas rester à l’intérieur. Alors oui ça explose et ça éclabousse celui qui est à côté. Souvent Balaye Mésange hurle seule. Elle a des siècles de mots qui attendent de sortir. J’aime être là, quand elle entre en éruption et que les mots coulent sur elle et se déversent au sol. J’aime sentir ses parole glisser sur ma peau et entrer dans mes oreilles, ma bouche, les pores de ma peau et gonfler mes poumons pour les faire exploser.

 

J’aime être le gars d’à côté. Toujours sur le banc à attendre. A attendre que le monde tourne et  à surveiller que tout le monde tient bien son rôle dans la ronde du monde. J’aime être le gardien sur mon banc. J’observe et je note dans un petit calepin chaque mouvement de chaque personne. Le gardien qui surveille et guide. La girouette qui donne le sens du vent et le sens de rotation de tout. Je suis celui qui organise la vie du village. Pas la vie municipale non. La vie sensible et intime du village. Je ne rentre jamais dans les chaumières je reste en périphérie et je regarde. J’accueille les nouveaux et raccompagne ceux qui partent. Je suis aux frontières du monde et du village. Le seul dont la parole peut sortir fluide et sans à-coup avec tout le monde. Une parole liquide, pas une lave brûlante et lente. Non une parole cristalline et limpide. J’aime ma place même si elle isole. Je crois que chacun doit trouver sa place ici. Toi tu dois trouver la tienne et t’y tenir. Il ne faut pas se tromper au départ, bien se connaitre pour ne pas être à côté de soi. Choisis bien mon ami !

 

Voilà Balaye Mésange qui revient. Je vais l’aider à marcher. Je te laisse, et si tu as des questions tu sais ou me trouver. N’hésite pas l’ami !

Par Laurent CAZANAVE




Retour au blog d'écriture


Aller au contenu principal